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La répression des Ouïghours au cœur de la rivalité sino-américaine

Last updated on 1 mars 2021

Le témoignage de Gulbahar Haitiwaji sur les camps de rééducation sert de munition idéologique dans la guerre commerciale entre la Chine et les Etats-Unis, menée désormais par Joe Biden. 

Le sort de la petite communauté musulmane du nord ouest de la Chine s’est imposé depuis 2 ans au coeur des relations sino-européennes et américaines. Le témoignage récent de Gulbahar Haitiwaji n’aurait jamais recueilli un tel écho s’il ne venait s’inscrire dans un contexte de rivalité et d’hostilité croissante entre la Chine et les Etats-Unis, avivée par l’ancien président américain Donald Trump.

De nombreux observateurs tentaient de démontrer la construction rapide de lieux de détention à grande échelle dans cette région de Chine. Mais les témoignages restaient rares. L’histoire de Gulbahar Haitiwaji publiée en janvier aux Editions des Equateurs est venue confirmer de l’intérieur, l’existence d’une répression high tech. Ingénieure auprès de la Compagnie du pétrole du Xinjiang, Mme Haitiwaji avait quitté la Chine en 2006 pour rejoindre son mari, réfugié politique en France. C’est à la suite d’un coup de fil venu de Chine en 2016 l’invitant à régulariser sa situation auprès de la Compagnie du pétrole qu’elle retourne dans sa ville natale. Elle n’en reviendra que 3 ans plus tard.

Arrêtée le 30 novembre dans les locaux de la Compagnie du pétrole de Karamay, elle va passer 6 mois enchaînée avec de nombreuses codétenues dans la maison d’arrêt de la ville, avant d’être envoyée à l’« école », soit dans un camp de rééducation. Elle y subira alors un endoctrinement journalier dédié à la gloire de la Chine, assorti de brimades, de coups, d’insultes, d’injections forcées aux objectifs incertains et d’interrogatoires, tout en étant surveillée 24h sur 24 par des caméras qui traquent le moindre mouvement suspect.

Sa faute ? Dès le 1er interrogatoire, des policiers lui soumettent une photo de sa fille manifestant place du Trocadéro à Paris et portant un drapeau du Turkestan oriental, lui révélant en même temps que sa vie n’a pas de mystères pour eux. La surveillance des Ouïghours, à la suite des Tibétains ou des Hongkongais n’est pas nouvelle: au Xinjiang, la répression a commencé après les manifestations de 2009 et s’est accentuée avec la série d’attentats islamistes en 2013 et 2014 dans la région. Mais depuis 2018, elle s’est accélérée de même que la répression des militants pro démocratie à Hong Kong cet été.

De Trump à Biden, une continuité?

L’attention portée à la répression des Ouïghours exprime la continuité qui existe d’ores et déjà entre la politique étrangère américaine de l’ancien président Donald Trump et de son successeur Joe Biden.

Pour l’un et l’autre, les relations avec la Chine sont le principal dossier de politique étrangère tant sur le plan économique que politique. Dans ce cadre, l’accueil par les Etats-Unis de la plupart des intellectuels et opposants ouïghours n’est pas anodin. La dénonciation de la répression au Xinjiang sert d’arme politique dans la guerre commerciale contre le géant chinois. Mais cette dénonciation n’est pas partagée avec autant de vigueur par les alliés européens et encore moins par les pays musulmans.

En effet, la plupart des pays européens poursuivent leurs relations et visites en Chine, comme une sorte de pèlerinage économique obligé, où se mêlent la fascination, la peur et la vénalité. Quant aux pays musulmans qui pourraient s’indigner du sort réservé à leurs frères en religion, ils semblent au contraire approuver Pékin. Dans une déclaration signée en juillet 2020, l’Arabie saoudite, les Emirats arabes unis et plusieurs pays à majorité musulmane font même l’éloge des actions conduites par la Chine au Xinjiang au nom de la lutte contre le terrorisme et dénoncent une politisation de la question ouïghoure par les Nations unies.

La Turquie qui avait été le premier pays à dénoncer la répression chinoise au Xinjiang en 2009, au nom d’une solidarité musulmane et turcophone, s’est depuis 2015, abstenue, tandis que l’Arabie Saoudite et l’Iran affichent inlassablement leur soutien à la Chine. Face aux crises pétrolières à répétition, suivies par la crise sanitaire, la Chine demeure un débouché pour les hydrocarbures, tandis que les investissements chinois s’étoffent d’année en année dans chacun de ces pays. Enfin, il est difficile pour ces pays de se positionner en faveur de la défense des droits de l’homme lorsque sur leur propre territoire, ceux ci sont loin d’être une priorité.

Au-delà de la question ouïghoure, le combat idéologique mené contre la conception occidentale des droits de l’homme et sa dimension universelle s’accentue. La Chine, qui est membre du Conseil des droits de l’homme depuis le 13 octobre dernier, tente de pousser aux côtés de la Russie, de l’Egypte, ou encore du Pakistan une conception alternative des droits de l’homme, en invoquant la priorité donnée au développement et en dénonçant l’hypocrisie et la défaillance des démocraties libérales… Un débat qui vient épouser la fracture grandissante entre les régimes autoritaires qui ont le vent en poupe et les démocraties libérales qui s’affaiblissent de jour en jour.

LDH.