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L’abandon du cash, une triple menace pour notre liberté

Last updated on 10 mars 2021

Au début de la pandémie, une fausse rumeur a couru qui a pourtant la vie dure: les billets de banque seraient vecteurs du coronavirus. Démentie, cette rumeur a pourtant été une occasion unique pour les acteurs qui poussent à l’abandon du cash de faire valoir les moyens de payement électroniques.

Du jour au lendemain, au printemps dernier, les commerçants ont autorisé des achats par carte pour
des montants parfois inférieurs à un euro, tandis que les grandes surfaces continuent à rappeler
journellement à leurs clients qu’ils peuvent régler leurs courses par payement sans contact.
Conséquence : l’usage de l’argent liquide a chuté de 50 % durant le confinement du printemps et a
durablement diminué dans les transactions au quotidien. Impossible de ne pas le constater: dans les
poches du citoyen, les pièces et les billets sont devenus plus rares.

Distributeurs de billets : une denrée rare

Ce changement accéléré dans nos modes de payement n’est pas qu’un simple changement
d’habitude. Il a des conséquences politiques, économiques et sociales. Sur le plan social d’abord. En
Suède, pays où le cash n’est plus utilisé que dans 6 % des transactions, un mouvement de
contestation est né pour défendre les 15 % d’habitants — personnes âgées, ruraux ou démunis — qui
n’ont pas accès aux moyens de payement électroniques. Une situation d’autant plus difficile que
dans ce pays, les distributeurs de billets sont simultanément devenus rares. La Belgique, où les
transactions en espèces baissent, n’échappe pas à cette tendance. L’impossibilité de payer en cash
dans certains guichets de la Stib (ce qui est pourtant interdit par la loi), pénalise déjà certaines catégories de personnes qui doivent faire appel à des intermédiaires pour payer à leur place. Tandis que dans de nombreux villages, les distributeurs ont été supprimés par les banques, au nom d’une rationalisation des coûts, obligeant les habitants à faire des kilomètres pour avoir accès à quelques billets.

Sur le plan politique, l’érosion du cash est également un sujet d’inquiétude. Si payer en espèces
permettait de garder son anonymat dans l’usage que l’on fait de son argent, rien ne garantit plus le
citoyen que les données communiquées lors de ses transactions électroniques ne seront pas utilisées,
vendues ou rachetées, malgré les contrats signés qui assurent le contraire.

L’Autorité de protection des données paralysée

En Belgique, l’Autorité de protection des données est paralysée par des luttes intestines. Quant à la stratégie du nouveau gouvernement fédéral dont la charge dans ce domaine revient à Mathieu Michel, secrétaire d’Etat, elle se fait attendre… Jan Penfrat, un des principaux conseillers du Réseau européen de défense des droits et des libertés en ligne (EDRI) rappelle pourtant cette dimension chère aux Européens, lorsqu’il compare les données privées à des organes vitaux: « Personne ne doit les posséder à votre place! ».

Imaginons un instant ce que pourrait faire un Etat en possession des données privées de chaque citoyen, s’il veut le contrôler voire le punir pour opinion divergente! En cette période de
surveillance sanitaire, connaître les dépenses de santé ou de voyages (interdits), pourrait s’avérer
bien utile. Sans parler d’une possible immobilisation de l’épargne qui serait subitement bloquée sur
les comptes… pour renflouer les caisses de l’Etat.

Nos données, propriété de multinationales

Enfin, l’abandon du cash a également des implications économiques. En choisissant les modes de
payement électroniques, ce sont des sociétés privées et non des moindres — Google, Apple, Visa ou
encore Mastercard — qui détiennent les données de payement de chaque citoyen. Elles peuvent les
monnayer, tout en se faisant des marges bénéficiaires considérables sur les transactions
quotidiennes.

Là où le cash était considéré comme un bien public, les moyens de payement
électroniques sont passés aux mains de groupes privés. Cette dépendance à l’égard d’une
technologie détenue par des sociétés privées qui conditionne l’accès à l’argent est une fragilité qui
peut mettre l’homme à nu en quelques jours. En 2010 déjà, Visa et Mastercard n’ont-ils pas tenté
de paralyser les activités de Julian Assange, le fondateur de Wikileaks et lanceur d’alerte, en interrompant brutalement ses possibilités de recevoir des dons ? La puissance des géants du net a
de quoi inquiéter les individus mais également les Etats eux-mêmes.

Liberté individuelle en danger

Si les modes de payements numériques présentent incontestablement des avantages pratiques et
technologiques, défendus par les banques, les opérateurs de carte, les géants du web ou encore la
Commission européenne, ils constituent un défi pour la préservation de la liberté individuelle. Les
arguments sécuritaires avancés pour mettre fin au cash, tels la lutte contre le blanchiment d’argent,
le terrorisme et désormais la pandémie, la grignotent chaque jour davantage.

RDB