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Sortie du nucléaire : un dogme qui nous plonge dans le noir

Last updated on 4 mars 2021

Dans un an, notre gouvernement devra prendre la décision ultime à propos de la question essentielle de la prolongation ou non de nos réacteurs nucléaires.

La question de leur prolongation a été le sujet de débats intenses ces dernières années où idéologie et désinformation se mêlent régulièrement aux faits et à la science. Ainsi, nous voyons aujourd’hui que les messages de nombreux scientifiques, experts dans le secteur de l’énergie, et d’économistes sont souvent balayés d’un revers de main par des politiques ou des ONG environnementales. La question de la sortie du nucléaire n’est évidemment pas une question dichotomique “pour” ou “contre”, ni une question d’idéologie où celui qui possède les meilleurs arguments gagne. La question doit donc être analysée et chiffrée pour que nous puissions déterminer si c’est un luxe que la Belgique peut se permettre aujourd’hui.

Peut-on se le permettre sur le plan environnemental ?

Sur le fond, il existe un large consensus sur la nécessité de décarboner rapidement notre production d’électricité dans les prochaines années. Sur la forme, les avis sont très divisés. Pourtant, il va sans dire qu’abandonner le nucléaire, notre première source d’électricité bas carbone, serait nous mettre des bâtons dans les roues pour atteindre nos objectifs climatiques de 2030 et 2050. Dans un tel scénario, il faudrait combler par d’autres sources d’électricité toute la production d’électricité d’origine nucléaire, autrement dit la moitié du mix électrique belge. Pour ce faire, trois options majeures, non-exclusives, se présentent: le renouvelable, des nouvelles centrales à combustibles fossiles comme le gaz, et les importations d’autres pays. Bien que les énergies renouvelables soient souvent citées comme la solution ultime, elles ne pourront pas compenser à elles seules dans un avenir à si court terme la production actuelle d’électricité d’origine nucléaire et ce pour des raisons physiques (i.e. problèmes d’intermittence à savoir que l’éolien et le solaire ne fonctionnent pas en l’absence de vent et de soleil). Une construction accélérée de différentes centrales à gaz sera donc inévitable. Arrêter une technologie bas carbone et la remplacer par des centrales à gaz à bilan carbone élevé est loin d’être idéal si on pense que la priorité est de réduire nos émissions de gaz à effet de serre.

Chaque source d’énergie a ses inconvénients: le nucléaire, comme on le sait, produit des déchets radioactifs. Il est certain qu’ils peuvent constituer un risque à court comme à long terme s’ils ne sont pas traités ou confinés. Toutefois, ce qui est très souvent ignoré dans le débat public, ce sont les ordres de grandeur. En effet, les quantités de déchets produites par le nucléaire sont minimes par rapport à ce que d’autres sources de production d’énergie (fossiles par exemple) génèrent. On estime la production de déchets nucléaires à environ 1 cl (ou 5 grammes) par Belge par an et les émissions de CO2 liées au cycle de vie du nucléaire à un peu moins de 50kg de CO2 par Belge par an. À l’inverse, l’émission de CO2 venant de la production d’électricité de centrales à gaz atteint plus de 1.100 kg par belge et par an. Un chiffre à méditer par tous ceux qui sont sincères dans leur combat contre les émissions de CO2, sachant que ce dernier reste un élément difficile à stocker malgré les progrès dans le développement de techniques de capture de carbone.  

D’un point de vue pragmatique, l’Allemagne est une preuve tangible des difficultés additionnelles que la sortie du nucléaire engendre pour atteindre les objectifs de réduction des émissions de CO2. Son premier objectif de 2020 est déjà un échec malgré les 500 milliards d’euros dépensés pour sa transition énergétique. Ainsi, penser que la Belgique où le nucléaire représente plus au moins la moitié de la part de production d’électricité (c.à.d. plus du double de l’Allemagne avant sa transition énergétique) ferait mieux en termes de réduction d’émissions de CO2 dans un laps de temps plus court, serait à nouveau illusoire.

Souhaitons-nous vraiment mettre en danger nos objectifs climatiques en lançant une politique énergétique qui augmentera sensiblement nos émissions de CO2 pendant plusieurs années? Pour nous, prendre ce risque nous semble irresponsable dans le cadre de la protection de notre environnement.

Peut-on se le permettre sur le plan économique?

La crise du coronavirus a mis à mal les finances de la Belgique et celles de nombreuses de ses entreprises. Pour en sortir, la Belgique doit créer un environnement économique attractif pour attirer de nouveaux investissements, favoriser l’entrepreneuriat et innover. A l’inverse, il est incontestable que mettre à l’arrêt 50% de la production d’électricité en Belgique générera de nouvelles incertitudes. Les entreprises (et les ménages) devront faire face à des doutes majeurs en ce qui concerne l’évolution de leurs factures d’électricité et leur sécurité énergétique. Le coût de l’électricité étant une composante non négligeable pour de nombreuses sociétés, c’est leur compétitivité qui risque d’être mise en danger. De plus, il est inutile de préciser qu’une entreprise préférera opérer dans un pays ou sa sécurité énergétique est garantie et où la peur d’un black-out n’est pas entretenue à l’approche de chaque hiver.

Souhaitons-nous vraiment ajouter une couche supplémentaire d’incertitude aux entreprises, nos meilleurs alliés pour implémenter la transition énergétique et atteindre les objectifs climatiques?

Peut-on se le permettre en matière de risques géopolitiques?

Les risques associés à une sortie du nucléaire sont aujourd’hui trop nombreux. Au-delà des facteurs environnementaux et économiques mentionnés, c’est toute la sécurité et l’indépendance énergétique belge et européenne qui est mise en danger. Ainsi, l’accord de gouvernement mentionne le souhait de vouloir exporter notre savoir-faire en démantèlement de centrales nucléaires, à la suite de la fermeture de Doel et Tihange. D’un autre côté, les producteurs de gaz (dont la Russie) se réjouissent des décisions prises par la Belgique ou l’Allemagne et s’attendent à une augmentation importante de la production d’électricité à partir de gaz dans les prochaines années. Sortir du nucléaire et faire la  promotion de cette politique au sein d’autres pays européens contribuera  à mettre l’Europe à genoux face à la Russie, pour qui la demande européenne croissante en gaz est vue comme une opportunité commerciale majeure. Ce serait faire preuve d’une naïveté coupable de croire que la dépendance énergétique de l’Europe par rapport à la Russie n’est pas un facteur de risque géopolitique majeur à long terme. C’est toute notre indépendance énergétique, une valeur fondamentale du développement durable, qu’une politique de sortie du nucléaire mettra en danger.

Voulons-nous prendre le risque de sortir du nucléaire tout en mettant à mal notre indépendance énergétique?

Peut-on se le permettre en matière de risques sanitaires?

Un autre argument souvent utilisé pour diaboliser le nucléaire, est celui de la sécurité et de la santé. Il est très efficace, car il joue sur la peur des gens. Malheureusement, ceux que nous entendons sur le sujet des risques pour la santé sont trop fréquemment issus du monde politique et médiatique. Sur ce sujet critique, il est essentiel de s’intéresser et de faire appel aux médecins et autres spécialistes qui travaillent dans le domaine. Même si nous ne pouvons pas négliger les risques liés à une catastrophe nucléaire, les rapports de l’UNSCEAR (Organisme des Nations Unies qui a exactement le même statut que le GIEC, en matière d’évaluation des risques liés aux radiations) donnent un tout autre son de cloche sur le sujet de l’impact de la radioactivité sur les hommes et l’environnement. De plus, la littérature scientifique à disposition de tous démontre que le nucléaire ne représente qu’un taux de 0,07 morts par TWh (comparativement le charbon c’est près de 24,6 par TWh et le gaz 2,8 par TWh). Paradoxalement, abandonner le nucléaire augmenterait les risques de dégâts humains, bien plus importants que les risques liés aux déchets ou à la possibilité d’un accident.

Voulons-nous prendre le risque d’abandonner le nucléaire au nom de notre “sécurité”?

Pour nous résumer

Si nous voulons mener une transition énergétique efficace, il est très important de ne pas tomber dans le piège de la confusion entre le factuel et le sensationnel. De ce fait, il est indispensable que nous soyons correctement documentés sur le sujet très complexe de la transition énergétique. Aujourd’hui, nous constatons qu’il est extrêmement mal compris et que de nombreux préjugés difficilement défendables viennent influencer les décisions. Notre idée n’est pas de défendre coûte que coûte le nucléaire, mais de tordre le cou à certaines idées reçues, notamment celles qui tendent à nous convaincre que les énergies renouvelables pourront directement et à elles seules décarboner l’électricité belge. Par les faits mentionnés dans ces quelques lignes, nous n’avions pas la prétention de tout expliquer, mais simplement d’insister sur le fait qu’il est urgent que chacun s’informe minutieusement avant de prendre la décision d’en finir avec le nucléaire. Il est évident qu’il n’est pas la réponse à tous ces enjeux mais ne pas l’intégrer aujourd’hui comme un facteur contribuant à notre transition énergétique, relève beaucoup plus d’un choix sentimental, que d’une décision sage et réfléchie. L’enjeu impératif de diminuer nos émissions de gaz à effet de serre doit l’emporter sur tout dogme ou idéologie.

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Sources

Déchets nucléaires: ordres de grandeur:

https://www.forumnucleaire.be/theme/contr%C3%B4le-et-gestion-des-d%C3%A9chets-nucl%C3%A9aires/quen-est-il-de-nos-d%C3%A9chets-nucl%C3%A9aires-1

https://bx1.be/wp-content/uploads/2020/09/20200930-Rapport-des-formateurs-.pdf

https://link.springer.com/article/10.1186/s13705-017-0141-0

What are the safest and cleanest sources of energy?

https://www.ipcc.ch/site/assets/uploads/2018/02/ipcc_wg3_ar5_annex-iii.pdf

(source conso)

https://www.iea.org/data-and-statistics/data-tables?country=BELGIUM&energy=Electricity&year=2019

(production electricité 2019)